Article de presse- interview

Publié le par Jessica Brown

Article paru dans l’Itinérant

 

L’Itinérant : Il y a une véritable éclosion de débats philosophiques dans les cafés. Pourquoi ce phénomène ?

Bruno Magret : Cela tient au fait que nous sommes en grande partie désabusés. Les religions et les idéologies n’ont pas réussi la mutation profonde que nous attendions de l’Homme. Nous avons développé toute une techno-science, mais l’aspect moral, notre place harmonieuse au sein de l’univers, semble être une catastrophe. Nous avons tenté de transformer notre système d’organisation sociale extérieurement, mais le mal est plus profond. Il nous faut aussi opérer une mutation de l’intérieur. Il faut en quelques sorte réinventer l’Homme. Peut-on se changer et retrouver l’être humain individuel, libre et responsable, capable de renouer des liens communautaires éclatés par l’égoïsme ? Il se produit une remise à zéro de la pensée afin d’éviter le chaos intellectuel et moral entraînant la destruction de la civilisation. Cette tentative vise à retrouver une pensée primordiale, pour ma part presque sauvage, préexistante à tous dogmes religieux, idéologiques et scientifiques qui nous ont conditionnés.

 

L’Itinérant: Quant les gens se rencontrent dans les cafés, que cherchent-ils ? La convivialité ou la philosophie ?

Bruno Magret : Le besoin de convivialité et la philosophie ne sont pas séparables. La pensée occidentale s’est trop abstraite du corps. L’effet en est cet énorme système médiatique, ce qui est entre. La communication artificielle isole les individus, la mondialisation efface le particulier, le besoin vital d’une culture de proximité se fait ressentir. Les grandes mégapoles engendrent une terrible solitude, les résultats sont une augmentation des dépressions et des suicides, les liens sont éclatés. Le citoyen est exclu d’une prise de parole  par une représentativité qui n’exprime plus ses souhaits. Donc, les gens se rencontrent et se défendent, c’est instinctif. L’extrême égoïsme de notre société nous fait prendre conscience que la présence de l’autre, charnelle, et pas seulement virtuelle, comme sur Internet, est indispensable. L’isolement, c’est la mort. Seule la relation entre individus, avec l’univers, et plus encore, nous fait vivre. La philosophie est un dialogue vivant qui bouscule notre petit cocon qui nous protège, mais qui à la longue coûte très cher. La soif de l’autre est essentielle.

 

L'It. Ne crois-tu pas que les sans-abri ont besoin de pain d’avantage que de philosophie ; comme disait Sartre ?

B.M. : Le corps n’est pas séparé de l’esprit. Enfermer un individu dans les besoins élémentaires et premiers est monstrueux. L’homme s’élève et trouve une solution justement parce qu’il est capable de réfléchir et prendre du recul par rapport aux nécessités les plus immédiates. Tant que l’individu ne découvre pas son idéal propre et universel, il se fige dans les tristes valeurs de la consommation. Cette course égoïste laisse des gens sur le côté, qui se frustrent et se détruisent. L’idéologie de l’effort pour l’effort nous a tellement conditionné que ceux qui se sont écartés brutalement, se sentent inutiles, alors que c’est faux. Peut-être ont-ils une autre voie à découvrir. Le passage à vide est aussi nécessaire pour prendre un nouveau départ. Aider quelqu’un, ce n’est pas le faire sombrer dans la dépendance et l’assistanat, car cela est une logique de prédateurs. Soutenir un être humain, c’est aussi lui donner le goût de la réflexion sur sa propre vie, lui faire retrouver ses arguments et sa parole. Ce qui différencie l’Homme de l’animal c’est la culture. Il faut traiter les hommes en homme.

 

Est-ce que des sans abris participent aux débats que tu organisent.

B.M. : (…) Réfléchir en commun, c’est se soutenir et fonder des valeurs communes. Ensemble, nous sommes plus fort pour réclamer nos droits. Si l’humanité a traversé les siècles, c’est grâce à cette solidarité. Un homme isolé est un être qui va mourir. De plus, si la philosophie prétend descendre dans la rue, la où elle a commencé, les « cafés philos » ont intérêt à entendre la voix des plus démunis, des cités de banlieue et celle de cultures différentes.

 

Personnellement quel a été ton parcours ?

B.M. : Je suis autodidacte, ayant dû apprendre un métier manuel très tôt. J’ai pratiqué les arts martiaux pendant 10 ans, ce fut pour moi providentiel, car j’ai pris contact avec la pensé extrême-orientale, et je suis revenu à mes racines avec un regard neuf. J’ai de ce fait une culture du corps et de l’esprit, et le besoin d’une pratique philosophique s’est un jour fait ressentir. J’ai lâché mon travail et mon domicile d’un seul coup, pour voir si je pouvais sauter dans le vide, faire confiance en mes capacités et faire l’expérience de la providence. Pour moi la philosophie est une attitude et non pas une litanie sacerdotale des philosophes. Etre conscient de l’éventualité de sa propre fin renforce un homme. De plus accepter d’être en difficulté, c’est se rendre compte que les portes ne s’ouvrent pas sans les autres et sans la magie de la relation. (…)

 

Aujourd’hui, à quoi peuvent servir les débats philosophiques ?

B.M. : Chaque époque a son idéologie inhumaine, et produit de l’exclusion. Le nationalisme a exclu les sans patrie, les nomades. Aujourd’hui, le despotisme du tout économique, du libéralisme, me fait peur. Le MRAP parle déjà de racisme social. Il faut participer à des espaces de discutions, rencontrer des gens, ne pas rester isolé. Qui sait si des solutions individuelles et collectives ne vont pas surgir. Et venez retrouver la parole, c’est la magie de notre vie.

 

 

 

 

 

 

Publié dans cafe-philo

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